Action du groupe VENDOME le 17 août 1944 à Rivières et Labastide-de-Lévis
1- Situation générale dans le département du Tarn
L'action du groupe VENDOME le 17 août 1944, à Rivières (Tarn), entre dans le cadre d'un ensemble d'opérations effectuées sous le commandement du chef départemental des F.F.I., opérations qui avaient depuis le 6 juin 1944 pris un caractère essentiellement militaire.
Le groupe VENDOME a éxécuté le 17 août
une mission d'interdiction routière destinée à dissocier
et à freiner l'arrivée de renforts ennemis, montant de Toulouse
à l'attaque de Carmaux. Cette mission résultait des évenements
suivants:
Le 16 août au matin les Maquis de la région de Carmaux ont libéré
spontanément leur ville, faisant prisonière la garnison allemande
comprenant moins d'une centaine d'hommes.
Le soir même le combat était engagé à 3km au sud
de Carmaux avec une colonne allemande venue d'Albi : la situation se stabilisait
dans la nuit de part et d'autre de la N88; un front de combat s'établissait
rapidement le 17 août au matin sur plusieurs kilomètres.
De 10 heures à 17 heures, ce jour, la situation du front de combat
resta très critique de notre côté, et tout particulièrement
à 15 heures, où une dernière contre-attaque réussit
à arrêter l'ennemi aux lisières même de la ville,
à la sortie sud de Carmaux.
Le chef départemental des F.F.I. avait alerté dès le 16 août au soir les commandants de toutes les zones du département, leur prescrivant une série d'actions convergentes, dèjà prévues par l'Instruction générale n°5 en date du 7 août 1944 et destinées en l'occurence à soulager l'effort soutenu par les unités de la zone D (Carmaux)
2- Mission particulière du groupe Vendome
Dans cet ensemble, le commandant de la zone E (groupe VENDOME) recevait la mission d'attaquer au passage les renforts ennemis venant de Toulouse, sur le tronçon de la N.88, entre Rabastens et Albi. Ordre lui en était adressé le 17 à 7 heures du matin.
Dans l'après-midi, à 16h15, une colonne motorisée
ennemie est prise sous le feu du détachement chargé de l'embuscade,
comprenant 40 hommes (en grande partie du GMR MISTRAL rallié le 23
juillet, à Albi, sous le commandement de M. Cros, officier commandant
du groupe MISTRAL.
Ce détachement dispose à ce moment de:
L'ensemble est réparti sur un kilomètre de long, de façon à coiffer au même moment la tête et la queue d'une colonne assez importante, et se trouve à une certaine distance de la route.
La colonne ennemie est stoppée par les premières rafales. Trois véhicules s'écrasent contre les arbres, un canon est endommagé.
Après une heure de combat, l'ennemi qui s'est ressaisi, progresse sur les flancs du dispositif de l'embuscade, se couvrant par le tir d'une pièce anti-chars.
Le personnel de l'embuscade se replie par échelons dans des conditions rendues difficiles par le mordant de l'ennemi et l'arrivée de 2 autos-mitrailleuses venue d'Albi et qui ont suivi la route de Labastide de Lévis.
A 20h15, le regroupement des différents éléments qui ont tendu l'embuscade, ou apporté l'appoint de leur soutien, s'opère sous le commandement du chef de la zone E, VENDOME (aujourd'hui Lieutenant Colonel Van de Veen, de l'armée de l'Air), qui a suivi de bout en bout le déroulement de l'action.
Les pertes sont les suivantes de notre côté :
Groupe des GMR : 12 tués, 1 disparu
Groupe CFL :3 tués, 1 disparu
En regard, l'ennemi a une soixantaine de tués, de nombreux blessés et laisse sur le terrain 4 véhicules détruits et 1 canon dont la flèche s'est écrasée au cours de la collision initiale.
3- Les résultats acquis
L'énergique intervention du groupement VENDOME, a eu pour résultat d'arrêter sur place pendant plus de 4 heures, une colonne ennemie, dont l'arrivée se serait autrement effectuée sur la ligne de feu de Carmaux vers 17h30.
Il est à peu près certain que cet appoint aurait emporté la décision en faveur de l'ennemi, qui venait à grand peine d'être arrêté à 15h aux lisière de Blaye, faubourg sud de Carmaux.
Du fait de l'action du groupement VENDOME, la colonne ennemie n'arriva dans Albi qu'à 21h30, réduite à 6 camions, qui pénétrèrent dans la caserne Laperouse, où ils séjournèrent durant la nuit du 17 au 18 août.
En plus des pertes humaines et matérielles subies par cette colonne, la démoralisation toucha le reste du personnel : le chef départemental des F.F.I. put constater par lui-même à 18h30, près du pont de Marssac, l'état d'énervement dans lequel se trouvait le "Hauptmann" commandant la colonne et son personnel de commandement.
Cet officier laissant sur place sa troupe, allait à Albi rendre compte et demander du renfort à l'Oberst commandant d'Armes : un ultimatum adressé à ce colonnel par l'intermédiaire de la Mère Supérieure du "Bon Sauveur", le soir même, permettait de faire remettre en liberté deux jeunes maquisards portés disparus au groupe VENDOME et que le Hauptmann avait emmenés à Albi pour les faire parler.
Le démoralisation consécutive à cette attaque imprévue des "terroristes", devait s'augmenter le lendemain matin, 18 août, à l'aube, quand le harcèlement se poursuivit aux abord mêmes d'Albi : le Corps Franc ARMAGNAC attaquait à 6h20 du matin le camp de St Antoine, tandis que Nimes, commandant la zone C, faisait diversion à l'opposé, sur les lisières d'Albi, aux environs de la caserne Lapérouse.
Ainsi se liaient les actions des différents groupements destinés à soulager Carmaux, celle du groupe VENDOME, appliquée à l'heure critique, ayant permis aux actions suivantes d'avoir leur plein effet.
Le 18 août marqua la victoire des Carmausins, sur un ennemi ainsi démoralisé, harcelé de tous côtés, abbatu.
4- Conclusion
Quelques personnes mal informées, se sont crues autorisées à critiquer l'action de Rivières.
Certain fonctionnaire d'un Corps des plus éminents parmi les Corps militaires, n'hésitaient pas à dire à une table de popoté, il y a quelques mois : "Ces FFI n'avaient aucune notion de la tactique de combat, c'est ainsi qu'à Marssac, le 17 août 1944, ils ont attaqué une colonne allemande avec des mitraillettes et des révolvers! Ce fut un massacre! et l'auditoire de renchérir estimant que ces chefs FFI avaient fait payer à leurs troupes le tribut de leur inexpérience.
Ces personnage mal informés, n'étaient d'ailleurs
pas sur place; sans doute ignorent-ils ce que fut le "Maquis"
Mais en l'occurence, il s'est bien agi d'une mission de sacrifice qui a été
demandée à une poignée de braves, qui étaient
en majeure partie des militaires de carrière, commandés par
des sous-officiers... sous-officiers de métier et possédant
l'armement normal d'une section d'Infanterie.
L'ordre en a été donné par un officier de métier, il a été reçu et exécuté par un autre officier de métier : et que l'on ne s'y trompe pas, tous deux savaient ce qu'ils exigeaient de leurs troupes : c'est pour cela que tous deux se sont portés sur les lieux au moment de l'action.
Et le lieutenant Van de Veen rendait compte en ces termes de sa mission :
"Je signale la bravoure et l'intrépidité
des groupes placés sous mes ordres, qui ont tenu jusqu'à épuisement
des munitions.
L'ordre qui m'a été donné a été exécuté,
néanmoins je rappelle que les bords de la N88 ne présentent
aucun couvert permettant la Guérilla, à l'exception des abords
des villes et villages que je ne veux pas utiliser afin de ne pas exposer
les civils à des représailles sanglantes."
La ville de Carmaux ne s'y est pas trompée, sachant bien qu'elle devait son salut, le 17 août, au sacrifice des GMR du groupement de Gaillac : le 21 août, Carmaux, montrant sa reconnaissance, envoyait une de ses meilleures compagnies en renfort à Gaillac, attaquée par une colonne allemande forte de 2000 hommes. Cet appoint devait sauver Gaillac d'une nouvelle occupation par l'ennemi.
Mais que dire de la cruauté de cet ennemi qui achevait la plupart des héros de Rivières, VENDOME écrit le même jour :
"J'ai reconnu les cadavres de nos 15 braves qui portent tous les marques de rafales ou de coups à la tête entre autres, 2 blessés exécutés les mains liées."
Contre un ennemi sauvage, il n'y a que la manière forte qui puisse être appliquée. Aussi, le 18 août, le chef départemental envoyait-il ce message à son camarade VENDOME:
"I- Vous remercie action du 17 après-midi qui a
freiné et disloqué arrivée renforts : reliquats de cette
même colonne a été attaquée ce matin par ARMAGNAC
sur N88, à la sortie d'Albi.
II- On me signale, de source sûre, présence 17 au soir, de 15
cadavres en tenue de GMR, à Marssac, sans doute blessés achevés.
Faites savoir qu'exécutez vos 16 prisonniers allemands aryens, en représailles,
et exposez cadavres sur N88.
III- Continuez interdiction routière, sans jamais vous engager à
fond. J'entends actuellement diversion aux lisières S.O. d'Albi.
Bien cordialement
DURENQUE"
Paris, le 15 septembre 1945
le Lieutenant-Colonel REDON
ex-chef départemental des FFI du Tarn.
Pour essayer de relater cette mémorable journée du jeudi 17 août 1944, il faut se remettre un peu dans l'ambiance qui régnait en ces temps troublés :
Dans la nuit du 12 au 13 juin les maquisards francs-tireurs partisans français avec beaucoup d'audace et d'astuces avaient libéré tous les prisonniers retenus à la prison de Gaillac. Prison qui se trouvait être dans le secret le plus complet le lieu de détention pour les internés du camp de concentration de St Sulpice.
Dans le courant juillet, un train blindé allemand était passé, direction Tessonières, à faible allure. Force impressionante.
Les moissons à moissonneuse lieuse s'étaient
terminée vers la fin du mois. Il fallait faire les gerbières.
Vu le nombre important de prisonniers, on s'entraidait pour ce travail.
Invité à la Borie-neuve, ferme voisine, par le métayer
Viguier dont le fils Klébert était en stalag, je me rendis
à la pointe du jour sur le lieu de travail. Je passai sur le chemin
longeant la voie férrée puis à travers champs. Approchant
du pont enjambant le ruisseau et menant à la ferme, j'aperçus
un homme en uniforme un brassard blanc au bras, son arme dirigée
dans ma direction. Je m'approchais sans crainte (son arme était
une mitraillette) ma fourche sur l'épaule. Arrivé à
sa hauteur, tournant légèrement la tête, je vis ses
camarades sous le pont de la SNCF étendant des cordeaux et je réalisais
rapidement qu'ils étaient en train de vouloir plastiquer le pont.
Alors je dis le plus naturelment possible : "Faites le bien sauter".
Pas de réponse... j'avais toutefois décelé sur son
brassard une croix de Lorraine en rouge et vu le canon de son arme suivre
la direction de ma personne. Arrivé avec mes camarades, dèjà
au travail, parlant au fermier Viguier je lui fit part de ce que j'avais
vu : "ils sont venus nous avertir, me dit-il, il faut rester derrière
la maison ils vont faire sauter le pont". On se met au travail, mais
les gerbes viennent à manquer. Boum... boum... et ça saute,
on entend passer les boulons sifflant au dessus de nos têtes et
puis le silence. On attend un moment et puis on pense que c'est terminé.
Me voilà parti avec un attelage à boeufs et un aide dans
le grand champ qui se trouvait de l'autre côté de la voie.
J'avais bien mis les 3/4 du chargement lorsque une violente explosion
se produit à peu de distance. Les boeufs font un violent recul
de peur qui me couche énergiquement sur le chargement et j'entends
siffler bien près quelques morceaux de feraille arrachés
à la voie. On avait placé une charge de plastic sur une
éclisse à un joint de rail et elle explose avec retard.
Je trouvais par la suite des morceaux de feraille arrachés au pont
à près de 150 mètres de celui-ci. mais sur les 4
coins qui avaient été plastiqués un seul avait bien
fonctionné.
Pour réparer et assurer le passage des trains les cheminots remplirent
le dessous et le ruisseau avec des traverses de récupération.
Le traffic reprit mais quelques bidons d'essence et le feu mirent le pont
hors d'usage sans longue réparation. Ce tas de braise chauffa longtemps
et le 17 août lors de la bagarre les maquisards qui empruntèrent
le ruisseau pour se replier furent dans l'obligation de monter sur la
voie pour la traverser, ayant les allemands à leur poursuite. Traversée
oh combien dangereuse, vu le découvert avec la route nationale.
Remis de l'émotion on continua la gerbière et la journée
se passa dans le calme.
Le lendemain j'étais de garde au dépot des
locomotives de Tessonnières. La commune de Labastide était
chargée et responsable de cette garde. On gardait les machines
pour que les maquisards ne les sabotent pas. Nous apprimes par la suite
que c'était les cheminots eux-mêmes qui faisaient ce travail
(Résistance Fer).
Pendant cette garde je fus mandé par les gendarmes de Gaillac qui
faisaient une enquête sur le pont de la veille. Comme quoi il y
a toujours des bavards!!. Je dis ce que j'avais vu et à la description
du gars que j'avais rencontré je dis "Une croix rouge sur
un brassard blanc" sans mentionner croix de Lorraine et je demandais
: "Est-ce la Police française qui fait l'enquête ou
la police allemande?". Réponse : "C'est nous les gendarmes".
Je fus un peu plus loquace mais très peu.
Le 15 août était un mardi il faisait très
beau et très chaud. De garde à nouveau à Tessonnières,
j'allais à vélo. A Galdou un violent orage m'obligea à
me réfugier sous un hangar. Finie la pluie, le soir était
tombé et la nuit venait. Fonçant sans lumière sur
le sentier des cheminots le long de le voie férrée, j'arrivais
au dépot dans la cabane qui nous servait de PC. Je ne vis personne.
Etonné je ressoris. Entendant parler j'allais vers ces voix et
brusquement je me trouvais en face d'un gars de Gaillac que je connaisait
qui braquait sa mitraillette dans ma direction. je m'arretais : "Pourquoi
n'êtes vous pas avec les autres?" me dit-il. Et de répondre
"j'arrive pour la garde de Labastide" - "Allez avec les
autres". Et regardant dans la direction indiquée je vis toute
l'équipe des Bastidois de garde alignée contre quelques
wagons de marchandises avec un gars de Gaillac qui les tenait en respect
avec son arme.
Rejoignant mes camarades je reconnus une équipe de jeunes gaillacois
qui peinait à descendre un fût de 200 litres d'huile minérale
pour voiture. Plusieurs fûts se trouvaient dans le wagon qui prirent
le chemin d'une camionette à gazogène qui se trouvait à
proximité et tout ce monde disparut dans la nuit nous laissant
à notre garde et aux tracas que l'évènement pouvait
nous laisser, sans nous avoir fait le moindre geste de reconnaissance.
J'appris plus tard que le chef de gare était de la partie, mais
la nuit tous les chats sont gris et il fut décidé entre
nous que personne n'avait rien vu. Ainsi fut-il.
Voilà bien l'ambiance de cette fin juillet - début
août 44 dont je parlais au début de ce récit. Avec l'idée
qu'il fallait en finir au plus tôt malgré le danger et tout ce
qui pouvait arriver à chacun. On se méfiait de tout le monde,
sans avoir peur, on craignait et en craignant on avait peur non pour soi mais
pour les représailles qui pouvaient arriver à des êtres
chers. Il suffisait d'une indiscrétion ou d'une imprudence pour que
l'ennemi se venge sur des innocents ne pouvant le faire sur les combatants
de l'ombre.
On sentait que cela ne pouvait plus durer longtemps. Malgré le laconisme
des communiqués, les informations de Londres par radio nous permettaient
de tenir à jour une carte de l'Europe où avec des fils tendus
zigzagant entre les épingles nous avions à peu près les
positions des divers fronts. Je me souviens que le facteur à vélo
de l'époque (Taillefer Jean originaire de Cadalen décédé
à Labastide, geule cassée de 14/18. Un éclat d'obus lui
avait enlevé une partie de la joue, le palais et le nez) faisait une
pause pour regarder cette carte et nous devisions longuement sur la fin de
notre occupation et les risques qu'elle pouvait comporter.
La journée du mercredi 16 août fut une journée de travail. Comme nous étions en train de creuser le puits qui est au coin des hangars avec l'aide d'un puisatier d'Albi nommé Assier, ancien lui aussi de 14/18 les conversations ne changeaient guère. C'est ce jour là que nous arrivames à l'eau et la quantité finit par nous empécher de travailler plus profond. Il fut décidé que le lendemain j'irai chez le puisatier chemin de Rudel à Albi chercher une pompe d'épuisement et le matériel spécial pour continuer à creuser.
Je partis donc ce 17 août de bonne heure avec le cheval
attelé à une caisse montée sur pneus et qui nous servait
de moyen de locomotion plus léger et plus confortable que le grand
chariot.
Je pris à Marsac le vieux chemin d'Albi et en arrivant aux premières
maisons de la ville, je fus surpris par un mouvement insolite de vélos
montés par des hommes jeunes, certains en costume bleu marine, genre
militaire, baluchon sur le dos ou attaché sur le porte bagage, qui
appuyaient fort sur les pédales.
Entendant un sonore "Bonjour Monsieur Cahuzac où allez vous comme
ça?" je reconnus un garde-voie (militaire de carrière camouflé)
qui venait boire le coup sous le hangar avec ses copains tout en faisant leur
tournée de surveillance de la voie.
"Et bonjour, et où allez vous comme çà tous les
gars?" - "A Carmaux" fut la réponse. Une poignée
de main, un au-revoir et je continuai ma route.
Nous ne sûmes que plus tard que les mineurs avaient libéré
leur ville et étaient accrochés par les allemands d'Albi et
tous ces gars accouraient à leur aide.
Rentré à la maison je trouvais là Mr Bru
électricien rue de la Madeleine à Gaillac qui était venu
voir un petit travail à faire.
La maisonée ayant fini le repas, je me suis mis à table seul
tout en dévissant sur les évenements du jour avec lui. Sur la
fin, les chiens se mirent à aboyer furieusement et le jeune Boulet
René, réfugié chez nous, de Frontignan vint me dire peureusement
: "Y'a des allemands". Montant vivement les escaliers, suivi par
Mr Bru, pas rassuré du tout, je traversais la maison et par une fenêtre
au Nord regardais ce qui se passait en bas et reconnu des casques bleu marine
de la police française. Un gradé donnait des ordres. Les hommes
descendaient d'un camion à gazogène et se mettaient en rang
par 3. Tout en descendant je rassurai la maisonnée et allais à
la rencontre de ces hommes. M'adressant à un d'eux, je demandais le
chef et lui demandais ce qu'ils venaient faire là. On me répondit
qu'on venait arrêter une colonne allemande qui allait passer sur la
route nationale venant de Gaillac direction Albi. Je rétorquais que
ce n'était pas pour moi un endroit bien choisi, ni stratégique
et qu'on mettait la maison et ses occupants (14 personnes) en mauvaise position
en cas d'échec. Il me fut sèchement répondu que la colonne
allemande ne passerait pas. Ils avaient chacun une mitraillette et j'aperçus
un fusil mitrailleur.
Les choses étant ce qu'elles étaient, je pris
immédiatement les dispositions pour évacuer toute la famille
au maximum. Ma femme prit ma fille de 3 mois dans son landau, mon beau père
75 ans monta mon fils de 2 ans 1/2 sur le porte bagage de sa bicyclette et
à pied prirent le chemin de la Sietge où habitait un frère
à mon beau père.
Sur le chemin de Bégot ils trouvèrent les cantonniers Péduran
Auguste et Etienne en train de faucarder : "Partez vite, partez on va
se battre". Ils ne comprirent pas et n'en croyaient rien mais au premier
sifflement de balle, ils déguerpirent au plus vite, regrettant de ne
pas l'avoir fait plus tôt. Ils s'en tirèrent sans mal.
Mon frère Pierre avec sa femme disparurent dans la nature. Quant au
sieur Bru, il avait disparu sans que je m'en aperçoive. Il me dit plus
tard avoir sûrement battu un record pour rallier Gaillac... et avait
croisé la colonne allemande à mi-chemin. Il ne restait donc
plus à la maison que ma soeur M.Rose, 54 ans, ma belle mère
71 ans et une réfugiée de Toulouse Melle Ribe-Mery, amie de
la famille gravement handicapée pour la marche. Elle était la
soeur du lieutenant qui avait été tué par le même
obus que notre frère Jean-Eugène - 14/18.
Le jeune René Boulet resta avec elles. A vélo je rejoignis ma
famille sur le chemin de la Sietge. Tout le monde en lieu sûr, je revint
vers la maison mais la fusillade me prit sur le chemin Toulze avant le chemin
de Bégot. Je me jetais dans le fossé avec le vélo et
dans un semblant d'acalmie rejoignis la maison.
Les premiers éléments des maquisards commencèrent
bientôt à arriver, échevelés, suant, soufflant,
je leur donnais à boire. Ils me dirent que la colonne était
très forte et qu'il y avait de nombreux blessés.
Le conducteur du camion était resté auprès de lui à
préparer du plastic pour faire sauter le pont du ruisseau sur la route
nationale. La citroen traction avant des chefs était dans la venelle.
Elle repartit avec les premiers qui arrivèrent. Le conducteur du camion
se préparait à repartir. ne pouvant à la fois actionner
son ventilateur et avec son briquet allumer son gazo, je lui mis le feu à
sa marmite et le voilà parti.
Et toujours des arrivants qui buvaient un verre de vin (j'avais rempli un
pichet, posé à même le sol). Je ramassais les papiers
écrits en anglais ayant contenu des pains de plastic, regardais que
rien de suspect ne traine et dis au jeune Boulet de partir en haut des vignes
en passant derrière le pigeonnier.
Parti, il revint presque aussitôt en me disant qu'on lui tirait dessus.
Effectivement les allemands suivaient le lit du ruisseau à sec à
cette époque, se trouvaient en face et nous voyaient filer; voyaient
aussi les maquisards montant à travers le grand champ de Bon Sol et
de derrière la maison on voyait la poussière provoquée
par l'impact des balles. Ce fut un miracle qu'aucun ne fut touché.
Mais revenons en arrière et à la maison. Les maquisards avaient demandé à ma soeur M.Rose de leur faire à manger pour le soir. Celle-ci monta une marmite sur le feu, mit un bon paquet de lentilles à cuire, attisa les buches, mais lorsque les évènements se précipitèrent, elle abandonna son feu pour, avec ses compagnes, se mettre le plus possible en sûreté et à l'abri de la fusillade. On ne pensa plus aux lentilles et à la fin elles furent plus que cuites!!!
De son côté mon puisatier était allé faire la sieste sur la grange, lorsqu'il descendit et qu'il demanda à ma belle mère où était tout lemonde pour travailler, celle-ci lui dit que les allemands allaient arriver et se battre avec les français. Il se dirigea vers le jardin scrutant la route nationale quand les premières rafale de mitrailleuses allemandes commencèrent à crépiter. Ancien lui aussi de 14/18 le sifflement des balles lui fit prendre les jambes à son cou et à travers champs il se dirigea vers le derrière de Labastide couvert par notre immeuble jusqu'à chez Pujol de l'Escoubil qui étaient ses amis. Lui aussi se tira bien d'affaire.
J'étais dans la cave lorsque j'entendis crier du côté
de la maisonnette de la SNCF et bientôt le bruit des barrières
que l'on va ouvrir. (elles fonctionnaient à la main avec pour fermeture
un gros crochet de fer qui tintait fortement lorsqu'on l'enclavait) Mais la
garde barrière avait reçu l'ordre des maquisards d'ouvrir, mais
de ne pas se presser et c'est bien ce qu'elle fit.
Pour moi je sortit vite de la cave, pris René Boulet en charge et par
derrière la maison nous filâmes dans les vignes. Mais on nous
voyait depuis le ruisseau, nous nous couchames aux premiers sifflements de
balles et couchés, à genoux, rampant, finimes par arriver en
haut dans le fossé qui possédait alors de gros chênes
et un épais fourré de ronces. Nous forçames un passage
au travers et nous camouflames au mieux. Après un moment de repos je
me dressais contre un de ces arbres et regardais ce qui se passait. Je m'attendais
à voir sortir des flammes de la maison, mais il n'y eut rien de suspect
de ce côté.
Les allemands montèrent le chemin de Bégot, arrivèrent
en haut vers la cave de Fonvieille dont ils enfoncèrent les portes
à coup de crosses, montèrent par la côte de "Madame"
et allèrent à Bon-Sol où une balle ou un obus incendiaire
avait mis le feu à la gerbière.
A la vue de l'incendie les voisins avaient accouru porter secours et une dizaine
de Bastidois se trouvaient là réunis.
Les allemands les firent se mettre en ligne et ce fût là aussi
une chance qu'il ne leur arriva rien. On envoya quérir un interprète
à la route nationale où le convoi était toujours arrêté,
ils expliquèrent leur présence et la cause de leur nombre et
de leur réunion à cet endroit. Sauf quelques coups de pied quelque
part à un ou deux raisonneurs, ils s'en tirèrent avec la peur.
De mon perchoir je vis les allemands redescendre la côte, certains motorisés, les autres à pied. A la croix, ils tournèrent vers Marssac, passèrent par le chemin de la gare de Labastide et rejoignirent la route nationale. Là j'ai bien regretté de ne pas avoir en main la mitrailleuse M.A.C que je leur avais laissé à Dunkerque. Quel beau carton je me serais payé en leur renvoyant celles que j'avais reçues en 1940. Je vis donc la colonne reprendre sa route lentement vers Marssac et lorsque elle se fut écoulée, nous sortîmes de notre cachette et revimes vers la maison. On s'embrassa longuement. Les allemands, de leur position, n'avaient vu ni la traction avant ni le camion sortir de chez nous. N'ayant rien vu de suspect, ils passèrent, ne se doutant de rien.
Toutes ces choses s'étaient passées entre 15 et 18 h.
Après une petite pause, je repris mon vélo et
repartis pour la Sietge retrouver ma famille et aussi voir ce qui s'était
passé là-haut.
En prenant le chemin de Bégot je trouvé Mr le curé (curé
de Labastide, ancien combatant de 14/18 - infirmier) Auque à vélo
venant aux nouvelles et aussi voir ce qui s'était passé sur
la route nationale.
Il me demanda d'aller avec lui. Je lui expliquais et M.rose, ma soeur, alla
avec lui. Il nous dit avoir suivi toute l'affaire de sa fenêtre avec
les jumelles et avoir eu bien peur pour nous.
Un terrible spectacle les attendait. Les maquisards se repliant
m'avaient dit qu'il y avait de nombreux blessés et c'était sûrement
vrai, blessés par balle dès le début. Mais les allemands
les avaient tous massacrés d'une rafale de mitrallette sur les yeux.
Dix sur le sol de Rivières, cinq sur le sol de Labastide.
Mr le curé de Marssac arriva aussi sur les lieux et il fut pris la
décision de transporter tous ces morts dans la vieille chapelle de
Marssac. Ainsi fut fait et tous ces corps sales et meurtris furent nettoyés
et mis dans des linceuls par des femmes charitables et dévouées
de Marsac.
L'inhumation eut lieu le 19 août dans divers caveaux du cimetierre de
Marssac, au milieu d'une foule considérable.
J'étais donc parti pour la Sietge. Là on avait
entendu le sifflement des balles. On s'était réfugié
derrière la maison et tout le monde attendait des nouvelles de chez
nous. Je les rassurais pour le mieux et leur racontais ce qui s'était
passé.
Le lendemain j'allais les chercher avec le cheval. Mon beau frère de
Florentin était venu aux nouvelles se joignit à moi.
Chemin faisant nous trouvâmes un maquisard qui nous demanda de le prendre
et c'est ainsi que nous fimes le restant du chemin avec, à l'avant
de la carriole, le gars la mitraillette prête à fonctionner sur
un allemand si nous l'avions trouvé. Je portais ce voyageur insolite
au fond de la côte de Sénouillac où se trouvait le PC
du maquis Sabiani et rebroussais chemin.
Les jours qui suivirent ne furent guère au travail. Les nouvelles alarmantes de ci de là alimentaient les conversations.
Puis l'empoignade des Carmausins avec l'ennemi, le 21 la libération d'Albi, tous ces évenements entrainaient en nous une émotivité qui empéchait tout labeur. Je me trouvais sur le plateau de la Tronque lorsque les allemands mirent le feu à la Poste d'Albi. Nous viment très bien les flammes sans savoir à ce moment ce qui brûlait.
Voici donc relaté par mon souvenir aussi fidèlement que possible ces journées juillet-août 1944.
Une stèle souvenir fut érigée en bordure de la route nationale. Le général de Lattre de Tassigny y fit une halte lors d'un passage. une délégation municipale de Rivières et Labastide l'y reçut. Il nous adressa quelques mots avant de nous serrer cordialement la main.
Jean Cahuzac.
Parmi les nombreux combats ou escarmouches entre les soldats
du maquis et des Allemands, celui de Marssac figure en bonne place tant par
les conséquences qui en découlèrent, que par les sacrifices consentis.
Cette action, du groupe "Vendôme", dont le chef, Van de Velve, officier d'aviation,
avait regroupé dans la forêt de la Grésigne des réfractaires et des résistants,
environ 300 hommes, armés grâce aux parachutages de Parisot le 11 Février
1944 et celui de Lagrave le 2 Juin 1944; un apport sérieux était venu
conforter ce maquis, quand les groupes de G.M.R. (Groupe Mobile de Réserve,
chargé du maintient de l'ordre, pour le compte du gouvernement de Vichy)
"Mistral" et "Etoile", cantonnés respectivement au collège rue de Bitche
à l'hôtel Fouillade, place Pelloutier, à Albi, qui avaient refusé le 18 Juin,
d'entrer au maquis, acceptèrent le 23 Juillet, de rejoindre la Grésigne;
120 hommes avec armes et bagages, alors qu'ils étaient sur le point d'être
"capturés" (le mot n'est pas trop fort), par une autre groupe : les G.M.R.
"d'Aquitaine" qui, sur ordre de l'intendant de Police Marty, était venu de
Toulouse pour les conduire par train dans cette ville, et être repris en main,
car ils étaient soupçonnés de complaisance avec la Résistance.
Qu'il apparaisse, aujourd'hui, nécessaire de rappeler cet évènement pour éviter
qu'il sombre dans l'oubli, c'est à la fois rendre hommage à ces hommes valeureux,
qui offrirent leur jeunesse et leur vie, pour rendre à notre pays avec la
liberté, sa dignité et son honneur, vertus considérées, semble-t-il, à notre
époque comme accessoires et sans valeur.
C'est aussi apprendre aux jeunes d'aujourd'hui que l'histoire est leur patrimoine;
et que l'on est en droit de regretter qu'il ait fallu près de 40 ans pour
que nos dirigeants se soucient de combler cette lacune, en essayant de mettre
un terme à cette indifférence qui est le germe de l'incivisme , cette forme
décadente de l'esprit.
La raison de cette embuscade
Outre le fait que depuis le débarquement du 6 Juin, il était
courant et recommandé d'attaquer en toute occasion propice les convois allemands,
la particularité de celui dit de Marssac, c'est qu'il avait un but bien précis
et local. En effet, depuis le 16 Août, les maquis du Carmausin avaient entrepris
la libération de la ville, ce qu'ils firent en faisant prisonnière la garnison
allemande. On devine que cet audacieux coup de main ne laissa pas indifférente
la kommandatur, dont le siège se trouvait à l'hôtel du Vigan à Albi. Aussitôt
plusieurs centaines de soldats, un millier environ, furent dépêchés pour reprendre
la ville, qui revêtait pour les Allemands une grande importance, tant par
l'industrie charbonnière que par les produits de la C.G.I.: notamment l'essence
synthétique. Ils voulaient aussi protéger en cas de repli, les voies de communications.
Le colonel "Durenque", Redon, qui commandait les F.F.I. du Tarn prit l'heureuse
initiative en demandant aux responsables des divers maquis d'interdire l'arrivée
de troupes pouvant venir de Castres, Toulouse ou Rodez, prescrivant des attaques
de diversion sur Albi, pour y fixer le maximum de troupes et soulager la pression
sur Carmaux. Le choix de "Vendôme" était très limité quant à l'emplacement;
trop près des agglomérations, on courait le risque de représailles sur la
population civile. L'endroit choisi quoique peu stratégique, laissait de grands
espaces à découvert. Les quarante hommes sélectionnés pour cette embuscade,
la plupart G.M.R., étaient équipés d'une mitrailleuse, de 2 fusils mitrailleurs,
mitraillettes, mousquetons, quelques grenades et 5 bombes Gammon (bombes au
plastic).
Tous ces jeunes hommes, pleins d'allant, étaient confortés car ils venaient
d'apprendre que le matin même, par une audacieuse manoeuvre, "Vendôme" avait,
avec ses hommes, fait prisonniers les 17 Allemands et l'officier qui occupaient
la gare de Gaillac, rendant par cette action la ville aux F.F.I. et interdisant
du même coup le ravitaillement ennemi par train.
La mise en place du dispositif
Arrivés assez tôt le matin avec une traction-avant et un camion
gazo à plateau, ces véhicules furent garés dans la cour d'une ferme; La Borie-Blanque,
sous Labastide-de-Lévis et à quelques centaines de mètres de la route nationale,
juste avant le passage à niveau, en retrait de la voie de chemin de fer dont
le ballast pouvait être utilisé comme gardefou, sauf, bien entendu, pour les
grenadiers, qui, eux, se dissimuleraient en bordure de la nationale. La tactique
prévue consistait à attaquer au même moment, la tête et la queue de la colonne,
d'un éventuel convoi, pour ce faire, les 40 hommes étaient répartis sur plusieurs
centaines de mètres, 1 kilomètre environ, en direction de Rivières à partir
d'un petit ruisseau "Le Lézert".
En attendant, certains d'entre eux se restauraient avec le propriétaire de
la "Borie-Blanque", M. Cahuzac, qui mit du ravitaillement à leur disposition.
L'attente se poursuivait quand vers 16 heures, l'alerte fut donnée. On avait
supposé que quelques voitures légères se présenteraient et seraient la proie
facile de l'embuscade; en fait, il s'agissait d'un véritable convoi de 10
camions armés, de 2 canons, avec un effectif de plus de 300 hommes puissamment
armés qui allaient s'opposer aux maquisards.
Certes l'effet de surprise atteignit son objectif, à savoir que les premières
raffales et l'action des grenadiers mirent hors d'état de nuire 3 camions
et 1 canon qui, en s'écrasant contre un arbre, flèche faussée, devint inutilisable.
Un des grenadiers, Gaston Witeveuil, projeta sa Gammon sur un camion qui fut
d étruit, mais hélas, le courageux garçon trop lent pour s'abriter, fut déchiqueté
par la déflagration.
Deux heures durant le combat se poursuivit, mais la supériorité numérique, la mise en place du deuxième canon, l'armement automatique, obligèrent les hommes à se replier pour éviter l'encerclement. Les replis progressifs rendaient de plus en plus difficiles les tirs ajustés. En effet, tant qu'ils se trouvaient perpendiculairement à la route, les tirs étaient précis mais, au fur et à mesure des replis vers la gauche, la rangée des platanes formait un écran de plus en plus serré, obligeant même les servants du fusil-mitrailleur à se placer sur la route, rendant le tir plus efficace, mais terriblement dangereux puisque dans le champ des armes automatiques.
Sept servants se firent tuer en prenant la place du tireur,
dès que celui-ci était atteint par la mitraille.
Le combat aurait pu se poursuivre, si l'arrivée inopinée de deux automitrailleuses,
venant d'Albi, n'avaient pris à revers les vaillants maquisards. Débordés
sur la droite par l'ennemi qui progressait, attaqués sur la gauche, ils durent
abandonner le combat, se repliant en catastrophe sur Labastide. Ceux trop
près de la route, longèrent le ruisseau jusqu'au Tarn qu'ils traversèrent,
d'autres blottis dans des ronciers attendirent la nuit. I1 y a lieu de supposer
que ces deux auto-mitrailleuses avaient été prélevées sur le front de Carmaux,
car elles arrivèrent par la route de Castelnau-de-Lévis.
Décharnés, les Allemands achevèrent les blessés à coups de crosses et de baïonnettes : deux, les mains liées derrière le dos, furent massacrés odieusement, le corps de l'un d'eux transpercé une dizaine de fois. Quinze périrent dans cette embuscade. Du côté allemand le bilan était lourd : 60 morts (un rapport dit même 70) et près de 80 blessés. Le convoi parvint à Albi vers 21 heures, laissant sur place 4 camions, 1 canon et du matériel et c'est cette troupe démoralisée qui allait, le surlendemain , quitter Albi avec sa garnison. Mais laissons maintenant la parole à un témoin direct qui figure parmi les deux prisonniers que firent les Allemands.
Le récit de Joseph Bronzini
"Le 16 Août nous reçumes l'ordre de vérifier nos armes. Des munitions nous furent distribuées : trois ou quatre paquets de balles pour nos mousquetons, quelques chargeurs aux brigadiers pour leurs mitraillettes, le fusilmitrailleur et sa musette pleine de chargeurs et pour les grenadiers quatre grenades défensives et une grenade Gammon. J'avais donc moi-même un mousqueton et ma provision de grenades. Au petit matin du 17 Août, nous partimes quarante sur notre gros camion à plateau, propulsé avec son moteur gazogène. D'après Gros, notre commandant, qui était des nôtres ce jour-là pour commander personnellement cette opération, il s'agissait d'intercepter quatre véhicules légers se rendant à Albi et ayant à leur bord un groupe d'officiers allemands. Nous devions les faire prisonniers pour les échanger ensuite avec des résistants. Cela nous paraissait comme une simple opération de routine, nous étions persuadés d'être de retour avant midi. Notre chauffeur Labourail (Laboure pour les amis) conduisait avec dextérité. Nous arrivâmes sans encombre au pied de Labastide-de-Lévis.
Nous débarquâmes pas très loin de la nationale et le camion repartit se mettre à couvert. Notre commandant nous faisait prendre position sur plusieurs centaines de mètres et nous donna la consigne d'aménager notre pas de tir tout en restant invisibles de la route. Ce qui fut assez difficile car le choix du terrain n'était vraiment pas propice à l'embuscade. Avec le temps nous nous demandons encore si le commandement de Vendôme n'avait pas tout simplement voulu nous mettre à l'épreuve.
Pour l'heure notre groupe s'échelonnait le long d'une route qui nous surplombait de plusieurs mètres nous causant une difficulté de plus. A espace régulier, il y avait des passages souterrains permettant aux chemins de terre de traverser la nationale. C'était le seul abri et le piège qui attendait nos camarades. Mes amis Belfort et Kramer partirent avec le groupe de tête dans cette direction avec un autre excellent garçon. Nous ne le connaissions que sous son prénom "Gaston", toujours volontaire; il avait un compte personnel envers l'occupant; et pour cause ! j'ai su par la suite qu'il était juif et il avait dû se reconnaitre avec mes amis. Gaston portait toujours des guêtres mises à l'envers pour éviter aux boucles de s'accrocher aux garrigues. C'est ce détail qui a permis son identification après la bataille. N'écoutant que sa bravoure et son devoir, il n'hésita pas une seconde à envoyer sa grenade Gammon sur le premier véhicule allemand; il plongea en contre-bas de la route pensant se mettre à l'abri du passage souterrain mais la déflagration le tua sur le coup, le rendant méconnaissable. Il devait très bien savoir qu'il n'avait qu'une chance sur mille de sur vivre; mais rien ne l'aurait arrêté.
J'ai eu la chance d'être placé en serre-file, avec mon ami Riri Fournier. Nous avions pour mission d'interdire toute possibilité de fuite à un seul véhicule du convoi allemand. En aucun cas il devait forcer notre dispositif. Pour le moment tout était calme et un visiteur nous donna un verre à chacun et s'apprêtait à nous servir, quand l'explosion de la grenade nous annonça le début de l'opération. Les frondaisons et l'épaisseur de la végétation ne nous permettaient pas d'avoir une vue d'ensemble sur le champ de bataille. Nous conseillâmes à notre ami du moment d'aller vite se réfugier chez lui sans se faire voir des Allemands, ce qu'il fit aussitôt en nous laissant son pichet que nous avons abandonné sur place pour nous rapprocher, afin de nous rendre compte de la situation.
Le Repli
Nous avions entamé un sprint en direction de la fusillade qui s'emplifiait lorsque notre commandant, courant en sens inverse, nous donna l'ordre de repli. Devant notre stupéfaction, il nous expliqua en quelques mots que nous avions manqué les véhicules légers et que nous avions maintenant tout un convoi militaire à nos trousses.
Hommes de troupes, blindés, rien ne manquait pour faire un carnage dâns nos rangs. Tous les blessés qui ne purent s'enfuir furent achevés sur place. Nous fîmes demi-tour et nous nous retrouvâmes une dizaine à gravir la côte de Labastide-de-Lévis sous le feu acharné des blindés, qui avaient mis aussitôt leurs canons en batterie, voyant nos tenues bleu marine de G.M.R. aussi visibles qu'un vol de corbeaux sur un champ de neige. Chaque paire de fesses qui avaient le malheur de dépasser des caniveaux où nous rampions à en perdre le souffle, leur servaient de cible et leur permettaient de suivre facilement notre progression. Les feuilles des vignes se transformaient en confetti, le chemin semblait bouillir comme la lave d'un volcan en éruption. Ce spectacle nous suivit jusqu'au sommet. Dans un champ de blé un superbe gerbier s'embrasa comme par enchantement.
Seule la "baraka" et la soif de vivre de nos vingt ans nous donna des ailes. Au sommet il y avait un grand espace à découvert. Nous devions le franchir pour échapper à leurs tirs et disparaitre dans la nature.
Notre chauffeur avait abandonné notre camion au milieu de ce découvert et les Allemands tentaient de nous le détruire pour nous enlever notre seul moyen de locomotion. Au cours de cette ascension entre la mort et l'espoir, j'avais soulagé le porteur du fusil-mitrailleur qui était à bout de souffle car ce n'est pas évident de ramper avec une arme aussi lourde. Sitôt libéré il prit une avance certaine et ne chercha plus à récupérer son arme. J'arrivai moi-même sur le sommet et au lieu de foncer directement sur l'autre versant je fis un crochet vers le camion où je déposai le fusilmitrailleur, persuadé que le chauffeur allait revenir car le camion nous était indispensable pour nous reconduire à la forêt de la Grésigne. Allégé, j'arrivai enfin à l'abri où je retrouvai mon ami Riri qui m'attendait en compagnie de notre commandant. Ce dernier ne voyant pas le chauffeur, nous donna l'ordre d'aller récupérer le camion. "Faites le tour du village pour échapper au tir; nous nous retrouverons de l'autre côté avec tous les hommes que je vais pouvoir joindre". Nous sommes revenus avec mon ami Riri dans cet enfer de feu et d'acier.
En quelques secondes nous étions dans la cabine du camion et Riri essaya de faire démarrer ce bahut, pendant que je surveillais nos arrières. Je tenaisais mon mousqueton prêt au tir et ma musette de grenades toujours pendue autour de mon cou. Riri n'arrivait pas à démarrer, et moi, le regard fixé en direction du convoi allemand, je pensais bien que nous n'allions pas tarder à en découdre. J'attendais donc... anxieux... mais bien décidé.
C'est à ce moment-là, qu'un motard arriva, roulant sous la mitraille la moindre émotion apparente. C'était un agent de liaison du groupeVendôme qui recherchait notre commandant pour l'avertir que les Allemands étaient en train d'opérer notre encerclement. I1 venait nous guider pour leur échapper. Nous lui expliquâmes en quelques mots que notre moyen de transport était ce fichu camion; alors il n'hésita pas une seconde à prendre la place de mon ami; il lui dit d'aller avertir notre gcommandant de l'opération allemande en cours, et de nous rejoindre au plus vite l'autre côté du village.
Il eut plus de chance car le camion se mit en route... et le tir des blindés cessa.
Je n'avais pas compris que les Allemands avaient arrêté le tir pour permettre à un véhicule léger de nous rattraper. Nous étions engagés dans le village, mais au pied de l'église la rue était étroite, et le virage en angle droit, mon chauffeur dut manoeuvrer. Instinctivement je l'ai guidé pour réussir cette manoeuvre, ce qui nous fut fatal. Nous avions tous les deux la tête tournée vers l'arrière du véhicule, lorsqu'une auto décapotable avec quatre Allemands à bord stoppa devant notre cabine sans que nous l'ayons entendu venir. Sous la menace de leurs mitraillettes, ils nous donnèrent l'ordre de nous rendre. On nous avait tellement dit qu'il valait mieux mourir que d'être fait prisonnier qu'instinctivement je prenais ma grenade Gammon. Mon nouvel ami voyant mon geste s'écria - "Fais pas le con... Vendôme s'occupera de nous '!", et il leva les mains bien haut. I1 fut si convaincant en si peu de mots, que je l'imitai. Désarmés, enchaînés, et embarqués sans ménagement sur leur véhicule nous repartîmes sur les chapeaux de roues.Ils ne le ralentirent que sur la natinale où ils retrouvèrent leur unité.
Ils nous débarquèrent à Marssac où ils nous confièrent à leurs collègues, accompagnés de miliciens.
Un Allemand nous fit signe de monter dans un autre véhicule avec un milicien. Ce dernier me menaçant de son pistolet me déclara qu'au moindre mouvement il m'abattrait. C'est ainsi que nous fûmes conduits à Albi à l'hôtel du Lion d'Or. Là, ces messieurs vinrent nous voir comme une curiosité, et nous posèrent la même question, ponctuée des douceurs générales aux interrogatoires. L'un d'eux me cracha à la figure. Les mains menottées derrière le dos, ce genre de chose est des plus désagréables ! , Pour être sûr que nous étions bien de ces G.M.R. qui avaient quitté Albi, ils firent appel à M. André, officier de police au commissariat d'Albi. Nous lui demandâmes s'il avait la possibilité d'atténuer notre sort... Il se mit à rire pour toute réponse. Son oracle nous fut plus que funeste. Après avoir confirmé à ses amis que nous venions bien du groupe Mistral, il se retira sans le moindre regard.
C'est alors que nous fûmes confiés à un petit gradé pour être conduits à la caserne Lapérouse. Je passai le premier dans le couloir et commençais à descendre les escaliers lorsque je reçus mon ami dans le dos; j'amortis sa chute et comprenant que celle-ci était due à la brutalité de notre caporal, nous engageâmes une course poursuite du deuxième étage jusqu'au rez-de-chaussée. Sous les coups et les insultes de ce caporal grotesque nous arrivâmes dans la cour intérieure de l'hôtel. Un tel raffût ameuta toute la garnison qui s'agglutina aux fenêtres de peur de manquer le spectacle. Leur hilarité finit par nous faire sourire, ce qui mit en rage le caporal. Il nous donna l'ordre de monter dans une fourgonnette à plateau. Ce plateau était trop haut pour y sauter à pieds joints, et la seule aide que nous avions était les coups de bottes de notre caporal; nous avions toujours les mains liées derrière le dos. Il fallait envoyer une jambe pour prendre pied sur ce plateau. Heureusement qu'il ne devait pas y avoir plus de cervelle dans le crâne du caporal que dans ses bottes. Je profitai du moment où il tapait mon ami pour faire ce grand écart qui me permit d'atteindre ce plateau. J'ai pu à mon tour aider mon ami qui était beaucoup plus petit que moi.
Après cette séance hilarante pour la garnison allemande, on nous conduisit à la caserne Lapérouse pour nous enfermer dans une cellule à côté du corps de garde. Toujours enchainés et sans aucune nourriture, nous n'avions droit qu'à une seule pose le matin où nous étions conduits sous bonne escorte jusqu'au W.C. Venaient ensuite les interrogatoires, ils voulaient savoir où était le G.M.R. Mistral. Je m'étais cantonné dans un air idiot persistant dans ma seule réponse : "J'ignorais totalement tout de la région".Mon compagnon jouait le même jeu.
Je n'avais pas été séparé de mon ami, André Coufignal,natif de Brens, ce nous a permis de nouer des liens d'amitié. Les liens n'ont fini qu'à sa mort quelques années plus tard d'une tumeur au cerveau. Sa pauvre mère a pensé qu'elle était due aux coups que nous avons reçus.
Brutalisés par des miliciens français, ignorés par un officier de police collaborateur, nous avons été conduits sur le Vigan. Il y avait là un véhicule chargé d'hommes de troupe dont l'un d'eux tenait un rouleau de bonne corde. Le regard de l'officier qui les commandait ne laissait aucun doute sur notre sort; nous allions être pendus, lorsqu'un autre véhicule arriva. Il en descendit un deuxième officier qui engagea une vive discussion avec le premier. Il avait peut-être envie de nous faire mourir d'une autre façon! Avait-il un grade supérieur ou sut-il se montrer assez convainccant toujours est-il que nous sommes revenus à la caserne Lapérouse où cet officier nous retira les menottes et nous mit au fond du poste de garde au lieu de la cellule habituelle.
Nous attendîmes dans l'anxiété. La notion du temps n'avait plus d'importance pour nous et lorsqu'il vint nous chercher c'est avec résignation que nous le suivîmes sur la place, qui est devant l'entrée de la caserne. - "Raus !", nous dit-il... plusieurs fois. Mourir d'une rafale de mitraillette dans le dos en s'enfuyant ne nous parut pas digne d'un combattant... aussi ni l'un ni l'autre nous ne bougeâmes, mais le bougre insista et trouva même quelques mots en français - "Raus!... vite... vite... vous partir!" Après nous être éloignés sans qu'un seul coup de feu ait été tiré, mon ami André me fit revenir sur la route de Toulouse dans l'espoir de trouver un moyen de locomotion en direction de Gaillac. La faim et la soif, dirigèrent nos pas instinctivement vers un petit estaminet dont le patron, assez gêné de notre visite, nous conseilla bien gentiment de prendre rapidement de la distance. Décontenancé par son attitude, ainsi que celle des clients se trouvant là, nous devions paraître indécis, lorsqu'un monsieur s'approcha de nous - "Venez les gars, je vous emmène à la maison, nous verrons après ce que nous pourrons faire". Je n'ai jamais oublié l'accueil de cette famille, qui n'a pas hésité à vider son buffet, pour nous restaurer. Nous nous sommes revus souvent pendant mon séjour à Albi bien après la Libération. Nos routes se sont séparées, sans pour autant oublier de correspondre. Un jour une de mes lettres m'est revenue avec le tampon des P.T.T. "parti sans laisser d'adresse".
Ce monsieur qui s'était lancé dans les tournées artistiques, s'appelait Jacques Chancel. Avec le temps... les physionnomies changent. J'ai écrit à l'émission du "grand échiquier" pour savoir s'il s'agissait de mon ancien ami, ma lettre est restée sans réponse. Le doute reste donc toujours".
Lorsque Bronzini et Couffignal furent faits prisonniers dans les circonstances que l'on sait, et alors qu'ils se trouvaient à Marssac, en train d'embarquer sur un autre véhicule, arriva par le plus grand des hasards, le colonel "Durenque" qui revenait de Carmaux, par des chemins détournés et débouchant sur le pont de Marssac, par la route de Castelnaude-Lévis, avec un véhicule de la police de Carmaux. Conduit par un policier, ayant comme passager le secrétaire de "Durenque", Gisèle, et deux autres policiers. Arrêtés par les Allemands, ils eurent la chance d'être pris pour des policiers en tournée de surveillance, et ne furent pas inquiétés, après la fouille de la voiture, par des miliciens, qui se trouvaient avec les Allemands. C'est à cet endroit que Durenque aperçut les deux prisonniers enchaînés et que l'on rouait de coups. Dès son retour à Albi, fort des prisonniers que détenait le maquis, il rédigea une lettre adressée au commandant de la Place, le mettant en garde, et menaçant d'exécuter les prisonniers allemands si les deux garçons n'étaient pas libérés.
Il fit remettre cette lettre au "Bon Sauveur" et voici comment cette lettre parvint à la Kommandatur. Les Allemands occupaient une partie des bâtiments du "Bon-Sauveur". C'est donc, par l'intermédiaire de la Mère Supérieure Aurélie Huc, secondée par la soeur économe, Berthe Ferrier, qui assistait comme infirmière le médecin-commandant Kribb. Ce médecin, anti nazi, avait déjà permis de faire libérer des personnes arrêtées lors des contrôles. Mais lorsque soeur Ferrier, après avoir remis la lettre, insista pour qu'il intervienne, il refusa de prime abord, arguant, non sans raison, qu' il s'agissait cette fois de garçons pris les armes à la main et que, s'il intervenait, il risquait lui aussi d'être compromis définitivement; devant l'insistance de la soeur, il la quitta en disant : "Je vais voir ce que je peux faire, mais je ne vous garantis rien".
Dans le cours de la nuit, soeur Ferrier entendit frapper à sa porte, elle se vêtit en hâte et ouvrit. Un soldat salua en disant :"Le médecin vous informe que la commission a été faite". Ainsi, la charité et la compassion accomplirent ce miracle auquel nul ne croyait.
La Mère Supérieure Aurélie Huc et soeur Berthe Ferrier ne revirent plus le médecin allemand. On le donna pour mort. Quelques années passèrent, un jour la Mère Supérieure et la soeur économe reçurent une lettre. C'était un médecin allemand, qui se rappelait à leur bon souvenir, avec son amitié. Le médecin-commandant Kribb avait survécu à la tourmente.
NOTE
Indépendamment de l'intervention du docteur Kribb et de la menace de Durenque, un facteur non moins important, facilita sans doute cette libération qui, peut-être quelques jours plus tôt, n'aurait pu se produire. C'est celui du temps. En effet, l'interrogatoire des deux prisonniers fut écourté par le départ des troupes et la gestapo n'eut pas le loisir de venir sur place, avec l'horrible tortionnaire de Castres, surnommé "Le Mongol à la hachette" (fusillé à la Libération) et qui exerçait ses abominables forfaits dans les caves de la caserne Drouot et à la caserne Lapérouse à Albi, où il mutilait ses victimes jusqu'à ce que mort s'ensuive. Bronzini et Couffignal eurent beaucoup de chance.
Yves BENAZECH.